Les centrales nucléaires aiment-elles vraiment la mer ?…
L’eau étant indispensable au refroidissement des réacteurs, l’installation d’une centrale sur la côte est une nécessité pour l’exploitant… On pense d’ailleurs de moins en moins à installer cette industrie sur un cours d’eau, au débit plus incertain, le changement climatique n’arrangeant pas les choses.
Mais depuis l’incident du Blayais en 1999 et surtout, depuis Fukushima en 2012, on peut se demander si un pays qui n’est déjà pas capable d’empêcher ses ressortissants de se noyer, en permettant l’installation d’habitats en zone submersible, peut garantir l’absence de risque majeur sur ses centrales…
Alors quels sont ces risques ? Quelles sont les centrales concernées ? Comment s’occupe-t-on de leur sécurité ?
De Fukushima à la Gironde : une affaire de côte mal taillée.
Voilà le problème : les centrales aiment la mer mais n’aiment pas l’eau. Et en France, on n’a pas encore de tsunami, mais on a des mascarets. C’est plus petit un mascaret. Mais cela a suffi pour mettre le nucléaire français à deux pas de la déroute. La tempête de 99 n’était pas loin de provoquer un incident majeur à la centrale du Blayais dont les sous-sols furent inondés par ce mouvement d’eau remontant l’estuaire de la Gironde.
Souvenons-nous de l’origine de l’incident de Fukushima : un séisme de magnitude 9 et le tsunami qui suit, endommagent gravement l’alimentation électrique des systèmes de refroidissement ainsi que les générateurs de secours au fuel prévus pour prendre le relais en cas de panne majeure. Après ça tout s’emballe… Par la suite, l’erreur humaine a été plaidée (sacré PFH* !) comme pour signifier que le systèmes fonctionne bien, sinon. Après la désinvolture et la corruptibilité russe, nous voici rendus à considérer que l’esprit étroit et docile du nippon constitue lui aussi un péril. Qu’en est-il de l’ingénieur français ?… Compatible ou pas compatible ?
Il n’en reste pas moins qu’en France, l’on s’est affairé vite fait à remonter les générateurs de secours restés au plancher (ah ! quand-même…). Mais il y aurait encore quelques milliards à dépenser pour tirer tous les enseignements de Fukushima et que l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) exige : un groupe électrogène additionnel sur chaque réacteur ; des prescriptions nouvelles attachées aux noyaux durs, des moyens d’intervention mobile renforcés et autres ressources affectées à la Force d’Action Rapide Nucléaire (FARN). Il n’y avait donc pas que de mauvaises gens…Il y a aussi des problèmes de moyens et d’équipement. Et d’humilité face à la nature, certainement. Sans compter les conséquences de notre insistance à la perturber. Selon l’organisation WISE, les Côtes Majorées de Sécurité (CMS) calculées pour prémunir les centrales de l’invasion marine sont sous-estimées, compte tenu notamment du changement climatique. Le calcul fait sur la centrale de Gravelines est, à ce propos, assez préoccupant.
En attendant, on passe en revue les centrales du Nord au Sud.
Gravelines, colosse aux pieds…de sable ?
Beaucoup a déjà été dit lors du récit d’itinérance le long de Gravelines.
La plus grosse centrale de France est suivie de près par l’Autorité de Sûreté Nucléaire (une inspection tous les trois jours).
La taille de la centrale (5460 Mw répartis sur 6 réacteurs) n’est pas la seule particularité problématique du site.
La centrale de Gravelines est également la seule en France à être implantée sur un polder. Cette situation est partagée par 3 autres centrales proches, comme le montre la carte aimablement communiquée par Antoine Bonduelle, Fondateur du Réseau Actions Climat et membre du Conseil Economique et Social Environnemental de la France.
Cliquer sur la carte pour découvrir quelques données clés
La particularité des centrales sur polder tient à la conjonction d’une marée haute, d’une forte tempête et de l’impossibilité d’évacuer les eaux territoriales de lieux parfois situés en dessous du niveau de la mer A Gravelines, la Cote Majorée de sécurité serait de ce fait sous-évaluée.
Mise en service en 1980, la centrale est, elle aussi, bientôt atteinte par la « limite d’âge ».
Penly la picarde, privée d’EPR
Un peu plus récente (1990), la centrale de Penly puise son eau de refroidissement dans la Manche. Penly, dotée de deux réacteurs pour une puissance totale de 2600 MW, est installée en bas d’une valleuse, au pied d’une falaise de craie. Cette situation présentée comme favorable encourage le projet de construction du deuxième EPR français (un réacteur de dernière génération). Ce projet avorte à la suite de l’incident de Fukushima.
Penly a connu plusieurs incidents portant atteinte à la santé de ses employés. En 2012, un incendie a entrainé une alerte de niveau 1. Une erreur de manipulation digne d’un gag de la 7ème compagnie (du genre « le fil rouge sur le bouton blanc ») serait à l’origine du sinistre.
Penly n’est pas à l’abri d’un incident majeur consécutif à la houle, un fort coefficient et une pluviométrie importante. Une remontée de la nappe sous la craie dans les remblais de la centrale est à craindre. Et la situation serait alors catastrophique. A part cela, la situation est favorable.
Paluel, elle aussi privée d’EPR
C’est une centrale moche et belle à la fois (5200 MW) située en Seine Maritime et qui puise une fois encore son eau de refroidissement dans la Manche.
Quand ce n’est pas la submersion qui menace (Paluel est plus en hauteur) c’est le colmatage d’algues dans les tambours filtrants de la station de pompage du circuit de refroidissement qui peut poser problème, comme ce fut le cas en 2004. Ce phénomène de prolifération des algues est du notamment au déversement des nitrates épandus dans les champs !
Flamanville, l’EPR qui devait avoir la gagne (mais c’est plutôt la guigne).
Gagné en partie sur le domaine maritime au large du Cotentin, le site de Flamanville compte deux réacteurs pour une puissance totale de 2600 MW.
Comme la plupart des autres centrales, on note des fuites par ci par là, sans plus, oserait-on dire.
Mais c’est surtout là qu’a été lancé en France le premier chantier EPR , la 3ème génération de réacteur. Un chantier bien dans la peine et qui coutera trois fois plus cher !
Encore une petite installation nucléaire vue sur la route : La Hague
Très proche de Flamanville, l’usine de traitement des déchets nucléaires s’aperçoit du chemin côtier.
L’organisation de la sûreté
Sachons quand-même une chose : aucune industrie n’est aussi contrôlée qu’EDF. La centrale de Gravelines a fait l’objet d’une centaine d’inspections programmées ou inopinées, ce qui fait environ tous les 3 jours. L’encadrement du nucléaire en France est important.
La sûreté fait d’abord l’objet d’un large rassemblement de toutes les parties prenantes du territoire où la centrale est implantée. La Commission Locale d’Information (CLI) instituée par Pierre Mauroy en 1983, est convoquée tous les deux mois et peut réunir à chaque séance plénière une bonne quarantaine de participants.
Cette commission est composée de différents collèges : élus locaux et parlementaires (le Conseil général étant l’autorité de référence) EDF et l’Autorité de Sûreté Nucléaire, les syndicats représentatifs du personnel de la centrale, le monde associatif, les experts indépendants comme le Groupement des Scientifiques pour l’Information sur l’Energie Nucléaire (GSIEN), les représentants de la santé (médecins, pompiers, pharmaciens…).

Jean Sename est membre du bureau de la CLI de Gravelines. Président de l’Adelfa (www.adelfa.org), association environnementale dunkerquoise, Jean m’a beaucoup renseigné pour la production de ce dossier. Merci !
Les CLI est dotée de commissions techniques et d’une commission « sécurité des populations ». On peut donc aussi bien y traiter, sur demande du bureau de la CLI, des incidents techniques que des risques possibles encourus par le survol des drones ou par la remontée des eaux consécutive aux changements climatiques.
Le gendarme français du nucléaire, qui effectue le contrôle des installations et émet les recommandations de sécurité, est l’Autorité de Sureté Nucléaire (ASN). Les experts désignés par l’Autorité de Sécurité Nucléaire et participant aux travaux des CLI appartiennent à l’Institut de Recherche sur la Sureté Nucléaire (IRSN) désignent les mesures à prendre par l’ASN.
L’ASN, par exemple, a demandé que le retour d’expérience sur l’incident majeur de Fukushima soit appliqué à la France. Il y en aurait pour 10 milliards d’aménagement, aux frais d’EDF, pour prendre les mesures visant à se prémunir d’un incident similaire.
Il est temps de conclure…
La présente décennie verra le terme des 40 ans de durée de vie initiale de la plupart des 19 centrales françaises. Pour les centrales en bord de mer, il semble hors de question d’envisager la moindre prolongation sans des aménagements tirant les conséquences de Fukushima, alors que l’addition l’EPR de Flamanville s’élève 8,5 milliards au lieu de 3,5 milliards, principalement à cause d’un défaut de fabrication constaté en 2015 sur la cuve.
Le nucléaire est un sujet à controverses, sauf une seule : la conservation de notre modèle énergétique à l’identique va coûter beaucoup, beaucoup, beaucoup d’argent…
Quand aux conséquences d’un incident… nous les connaissons malheureusement de plus en plus sans mesurer parfaitement toutes les incidences à plus long terme sur les milieux terrestre et marin. Si l’environnement et la santé n’ont pas de prix, on s’avance quand même à chiffrer le coût d’un incident comme Fukushima. Ce qu’il faut retenir c’est qu’il s’agit probablement d’une somme à 4 chiffres. En milliard, s’entend… Que pourrait-on faire de mieux avec moins de 1000 milliards ? C’est certainement ce que nos sociétés devront apprendre à imaginer car le nucléaire est hors de moyens aujourd’hui.
* PFH. : Putain de Facteur Humain. Terme emprunté à Patrick Viveret.
Renseignements utiles :
– Un premier bilan de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur l’incident de Fukushima, très didactique, avec des cartes.
– Sur les conséquences humaines et économiques de Fukushima, un bon petit résumé chiffré.
– Sur les enseignements tirés du Blayais par l’Institut de Protection et de Sureté Nucléaire pour les autres centrales. Encore du boulot pour être dans les clous !