Voir également le dossier associé : – Bateau d’intérêt patrimonial (BIP), avec La Goele – Dossier 5
Après une série de dossiers thématiques, nous reprenons la marche où nous l’avions laissée…
Nous voici donc arrivés dans la cité de Jean Bart. Nous l’étions en fait déjà depuis Malo.
J’ai parcouru le quartier est, qui est en fait le centre ville en trois petits séjours très rapprochés. Trois parties de cache-cache avec la lumière… Ces trois temps à l’atmosphère homogène, paisible et mélancolique, m’ont offert l’imprégnation d’un lieu terrestre à nouveau concilié avec l’élément marin. Il y a si peu de temps encore, les lieux devaient être marqués par la frénésie laborieuse et bruyante du chantier naval et d’entrepôts de marchandises diversement odorantes. La mer était avant tout un support de travail. Un support, du reste, capricieux et attirant comme un aimant toutes sortes d’activités dont on cherchait à se préserver. Les aménageurs se sont rapidement penchés sur la béance laissée par leur disparition assez précipitée. Et cela donne le résultat d’aujourd’hui : un secteur portuaire progressivement réintégré à la ville, sans toutefois exclure toute l’activité économique gardant la mer comme support. Une sorte de nonchalance, à la danoise, dirais-je, habite ainsi peu à peu les quais jusqu’au port autonome. Le calme avant la tempête ?… Ici, la mer sait encore être menaçante. Des quartiers de Dunkerque ont connu la submersion marine au milieu du siècle dernier. Une digue, récemment protégée à grand frais pour avoir été malmenée l’hiver dernier, protège l’arrière pays. Espérons-la solide.
Dunkerque, de port en port
L’ « Eglise dans les dunes » – traduction du flamand « duin kerke » – est le nom que porte la ville depuis plus d’un millénaire. Elle fut toutefois pendant un temps nommée « Dune libre » à la Révolution…
Le port le plus septentrional de la métropole, n’était à la fin de notre premier millénaire qu’un petit bourg de pêcheurs luttant inlassablement contre l’eau d’où qu’elle vienne. On pense bien sûr à la submersion marine. Mais l’arrière-pays dunkerquois n’offre pas de pente propice à un bon écoulement de l’eau. Aussi, les Hommes ont d’abord du avoir raison de l’ingratitude des lieux par d’importantes infrastructures d’assèchement et de drainage, désormais poursuivi par ce qu’on appelle les « Wateringue ». Un travail inimaginable quand on pense qu’il fut réalisé sans les moyens d’aujourd’hui…
C’est justement à l’est de la ville en venant de Malo que l’exutoire de toute cette eau se jette dans le chenal. Et c’est là aussi que les risques de gros pépins se trouvent aussi…
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Le chenal du port de Dunkerque, par où passent tous les bateaux (sauf ceux du Port Ouest).
Le barrage Tixier, composé de 5 pertuis fermés par des vannes, ouvre ses portes à marée basse pour évacuer l’eau provenant de l’intérieur des terres. A marée haute, les vannes sont fermées pour empêcher la submersion marine des terres, drainées dans le même temps grâce à ce procédé. Les eaux sont conduites dans le Canal Exutoire traversant la ville. Ce canal a été aménagé en 1929.
En empruntant la Jetée de l’Est, on aperçoit Malo et tout à droite, à l’extrémité ouest du perré de Malo, cette Digue des Alliés si chahutée pendant l’hiver 2013-2014. La digue protège le Canal exutoire et par conséquent, la plaine maritime flamande qu’on appelle le Bootland. Un coûteux et massif rechargement de l’estran a été nécessaire pour empêcher les lames de heurter la digue.
La jetée de l’Est.
Cette jetée fait plusieurs centaines de mètres
Les pêcheurs affectionnent ces spots….
Un chalutier emprunte le chenal dominé par le Feu de Saint Pol, construit en 1937 à l’occasion de l’extension du port. Haut de 35 m et doté de 3 points lumineux, le feu organisait l’entrée et la sortie des navires. De style Art déco, ce feu bénéficie de la protection des monuments historiques depuis 1999.
Dunkerque doit sa prospérité passée à une situation idéale entre l’Angleterre, grand fournisseur de laine et Saint-Omer, haut lieu de confection de draperies au Moyen-Âge relié au port par cours d’eau et canaux. L’ensablement de l’estuaire de l’Aa à Grand-Fort Philippe, un premier temps choisi pour ce commerce, y a été également pour quelque chose…De port principalement consacré à la reception-expédition de toutes boissons alcoolisées – il fallait bien expliquer la persistance de certaines manifestations par l’Histoire ! – Dunkerque est ainsi devenu un important port de commerce textile, avant de devenir tout à tour port emblématique de corsaires puis de la pêche au hareng et enfin, le port industriel que l’on connaît, tiré notamment par bon nombre d’usines SEVESO installées dans toute l’agglomération. Le chantier de construction navale fut une des activités industrielles majeures du port.
Du chantier naval à la reconquête du cadre de vie
La guerre et l’industrie laissent de profonds stigmates pendant tout le XXème siècle. Mais à l’heure des crises et des friches d’avant 2000, la ville finit par se renouveler sur elle-même à la faveur de grands projets urbains. Le Master plan de Dunkerque décliné par le projet Neptune, cherche à ne plus séparer l’emprise urbaine des espaces associés à la mer que sont les différents bassins du centre-ville. Nous en avons une manifestation sur l’ancien site du chantier naval.
L’activité de chantier naval s’est éteinte dans les années 80, renvoyant 2500 travailleurs au mieux dans les usines proches. Quelques années plus tard, le projet Neptune est lancé sur 43 hectares des friches laissées par la Normed qui a succédé aux ACF (Ateliers et Chantiers de France). Le nouveau projet du Grand Large prévoit la construction de 1000 logements, avec pôle de culture et de loisirs en lieu et place d’une industrie qui fabriqua là 300 navires en moins de 100 ans…
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Sur l’ancien espace industriel des chantiers navals s’érigent les premiers logements de la ZAC du Grand large. Les logements se veulent écologiques et encourageraient la mixité sociale. L’architecte Nicolas Michelin semble vouloir recréer sur les quais une atmosphère de maisons flamandes surmontées d’un pignon à gâble.
Une autre vue du Grand Large, à partir du Bassin de Commerce
Sur la gauche, l’atelier de préfabrication numéro 2 des chantiers navals a été conservée pour abriter le Fonds régional d’art contemporain. En matière de mémoire industrielle, on s’est borné au minimum syndical, si l’on peut dire…. On a bel et bien voulu tourner la page et de pas faire de l’activité passée un emblème de la ville.
Il reste un port de pêche artisanale au Grand large. La flotille compte 18 bateaux (plutôt des lileyeurs), auxquels s’ajoutent 6 embarcations pour l’élevage des moules sur corde, sur les bancs à 5 Km au large de de Zuydcoote.
Le Baraka, le 5ème élément, le Nono… Tous les patrons de ces bateaux commercialisent leur pêche à la criée ou aux « Aubettes » du Minck situé au pied de la Tour du Leugenaert
Sur les quais du Grand Large
Sur le Grand Large également
Vue générale du Bassin, à l’endroit même où le Chantier Naval lançait ses bateaux
Vue du phare à partir du quai des Anglais, au Grand Large.
Le Phare de Dunkerque, dit Phare du Risban (détails à son sujet dans la prochaine série de photos)
Les résidences universitaires à partir du Grand large, Quai des Anglais
Le Pont mobile de la Bataille du Trével
Le beffroi de l’Hôtel de ville de Dunkerque, à partir du Quai des Anglais.
La page des chantiers navals est tournée par la quasi démolition de l’ensemble industriel qu’il a formé. Neptune est le Dieu des océans. Malgré l’éloignement vers l’ouest de l’activité portuaire, sous les auspices de Neptune, Dunkerque gage de rester résolument tourné vers la mer. Et le mariage entre habitat, culture, loisirs et pêche semble bien fonctionner.
Les Bassins du Commerce et de la marine, entre plaisance et patrimoine
En poursuivant vers l’ouest, nous arrivons au coeur de Dunkerque, face au quartier de la Citadelle. Ce sont les quais les plus fréquentés des visiteurs. C’est ici que la reconquête urbaine a commencé. Le lien avec l’histoire est assuré par le musée du patrimoine maritime. Celui entre l’espace maritime et l’espace urbain est efficacement rempli par l’imposant Hôtel de Communauté, sorte de pont entre le port et la ville, qui fait penser à certaines constructions médiévales réalisées sur des ponts. Ajoutons quelques bateaux anciens pour la plupart visitables, des bateaux de plaisance et de nouveaux commerces, le tout dominé par la vénérable Tour du Leughenaer. Dans ce secteur, la mue est terminée et les plaies du déclin pansées par de nouveaux usages tous voués à la qualité de la vie.
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Le Bassin du Commerce
Une balise marque le début du Bassin du Commerce depuis le Quai des Anglais
La Tour du Leughenaer est un des rares vestiges d’un lointain passé maritime de la ville, par deux fois rasée par les deux dernières guerre. La tour a longtemps servi d’amer (voir dico). Son nom veut dire « menteur » en flamand, car la disposition de la tour était quelque peu en décalage avec l’axe du chenal… Ce qui provoqua quelques échouages !
Derrière l’armée de mats de bateaux de plaisance, on distingue l’imposante coque du Duchesse Anne…
Le Duchesse Anne est un fameux trois mâts allemand de 92 mètres baptisé en 1901 sous le nom nettement moins mélodieux de Grossherzogin Elisabeth. Mais reste fin comme un oiseau ! C’était un navire école de la marine marchande allemande. Il fut remis à la France en 1946 en réparation des dommages de guerre. La ville de Dunkerque le rachète en 1981. La communauté Urbaine de Dunkerque en est l’actuel propriétaire. Ce bateau est à ce jour le seul grand voiler visitable de manière permanente en France.
Le Sandettie est un bateau-feu lancé du Havre en 1948. Les Phares et Balises avaient imaginé dès le 19ème siècle que des bateaux puissent embarquer un phare pour améliorer la signalisation des zones maritimes très fréquentées mais ne disposant pas de fond rocheux pour construire un phare dans la mer. Portant le nom du banc de sable qu’il signalait, le Sandetti ne prenait jamais de cap. Il fut relevé de son service en 1989 et classé monument historique en 1997. Sur 25 bateaux-feux en France seuls deux d’entre eux ont été conservés.
ôtel de communauté, passerelle bâtie entre la ville et le quartier de la citadelle et à l’interface de 4 bassins. Ici, vue du Bassin du Commerce.
L’hôtel de communauté, vu du Bassin de la marine
Dans le Bassin de l’Arrière-Port mouille le Princess Elizabeth, bateau à vapeur propulsé par des roues à aubes. Lancé en 1927, ce navire remplira de nombreux services : bateau d’excursion dans le sud de l’Angleterre, puis ferry, puis dragueur de mines pour la Royal Navy à l’entrée de la guerre. Il évacuera plus de 1500 soldats en 4 trajets lors de l’opération Dynamo, servira ensuite la flotte anti aérienne, reprendra son activité de cabotage en Angleterre. Il deviendra ensuite casino, apparaitra dans des films, deviendra restaurant de charme, puis pub sur la Tamise… Avant de revenir en France. A Paris où il se fera musée d’art, puis galerie d’art avant d’être racheté par la ville de Dunkerque en 1999. C’est aujourd’hui un centre d’accueil de la base de voile du Bassin du Commerce, et la propriété de la Communauté Urbaine de Dunkerque.
Le quartier de la Citadelle : nouvelle emprise d’une ville sur ses bassins
Le trident de Neptune vient enjamber de ses trois ponts un quartier historique doté d’activités portuaires résiduelles. Derrières les bâtiments entourant les bassins du Commerce et de la Marine, d’autres activités tertaires se sont déployées. L’université du littoral est la plus importante d’entre elles. En remontant plus au Nord en direction du phare, on retrouvera une activité économique plutôt centrée sur la plaisance et la réparation navale, quelques entrepôts et des écluses fréquentées par des navires assez impressionnants passant là comme le feraient des péniches….
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L’université du littoral cotoie le Bassin du Freycinet et son activité portuaire.
Plus de 1500 étudiants fréquentent ces lieux
Vue de l’université et des résidences universitaires, à partir du Bassin Freycinet.
Vue du Grand Large, à partir du Phare
C’est principalmeent dans le quartier de la Citadelle et en proximité que l’on trouvera les commerces de la mer de loisir.
Le phare de Dunkerque, construit en brique en milieu du 19ème siècle, culmine à 59 mètres, provoquait des éclipses visible dès son origine à 48 km. Sa portée est ensuite passée à 75 km.
Le Môle 1 : nouvelle emprise urbaine sur les bassins
Nous atteignons maintenant le Bassin Freycinet, aménagé il y a plus d’un siècle pour préparer le port à répondre aux aspirations industrielles des entrepreneurs du littoral. On rencontre peut-être ici les efforts persévérants d’une ville encore en lutte pour un avenir enfin soutenable quoique celui-ci soit paradoxalement rendu incertain par la crise économique occidentale dont Dunkerque paie le tribut depuis un quart de siècle. En attendant que l’ancienne Halle aux sucres se dévête d’un imposant corset de chantier pour devenir le learning center dédié aux villes durables auquel l’ancien entrepôt semble destiné, les traces de l’activité passée du Môle 1 sont encore très présentes. On les croirait presque bénéficier du sursis d’actions artistiques et culturelles éphémères qui les réhabilite un temps, d’une certaine manière, en les prenant comme supports. Pénétrer sur le Môle 1, c’est d’ailleurs un peu comme si l’on approchait du repaire d’un gros animal. Les lieux sont jalonnés d’indiscutables indices que celui-ci évolue là, tout près. Les formes d’expression murale se veulent en effet plus denses à la mesure que la colonie humaine entend remettre l’humanité au coeur d’un no man’s land d’asphalte, de brique et de béton. Fructôse soutient la jeune création artistique et son repaire se tient là, Môle 1. C’est une belle occasion de fréquenter le Môle et ses bâtiments, tels qu’ils s’offrent encore à la compréhension et à la mémoire de tous.
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Voici l’ancien siège d’une entreprise suédoise de manutention et d’entreposage. On distingue encore, en vert, la porte d’un grenier où pouvait être stockée l’alimentation des chevaux qui tiraient les marchandises jusque dans les années 50. Sur le Môle 1, on y a stocké du sucre, des balles de laines, du café. Il reste un chais où l’on stockait le vin venant d’Algérie, en compensation des pertes de production en métroples, causées par le phylloxera…
La Sainte Denise-Louise lancée en 1935 ou plutôt ce qu’il en reste : une coque en chêne. Il s’agit désormais d’un monument historique depuis 1992. Ce bateau pêchait le hareng.
L’ancienne Halle aux sucres totalement rénovée pour accueillir des activités tertiaires de la « ville durable »
L’ancienne Halle aux tabacs, superbe bâtiment rénové mais à la perspective obstruée par d’autres édifices plus récents.
Le vin stocké dans les chais repartait par wagon ou par camion. Ce poste de douane permettait de contrôler l’expédition de la marchandise dans le nord de la France.
Le Chais à vin.
Il reste encore quelques vestiges du transport des marchandises, tels que ces rails. les grues du Môle 1 ont disparu depuis quelques années déjà.
A l’approche des quartiers de Fructôse
Le hangar dit « Hangar aux mouettes » sont des espaces aujourd’hui désaffectés. Ils servent d’espace de création artistique
Dans ce gigantesque travail de reconquête urbaine, les aménageurs semblent avoir choisi d’effacer les traces du passé industriel du port du centre-ville. Certains diront que si le port était resté à la même place, l’adaptation aux exigences de modernisation des infrastructures qui en aurait découlé aurait conduit au même résultat. De plus, à l’instar de certains autres ports, les dispositions de sécurité partout mis en vigueur depuis les attentats de 2001 auraient accentué la rupture entre la ville et le port. C’est peut-être au Môle 1 que se provoquera l’amalgame de la mémoire, indispensable pour construire l’avenir, et de la reconquête progressive des bassins par la ville. Nous sommes juste à la frontière de ce qu’il reste de l’activité du port commercial dans la ville. Frontière que nous allons prochainement passer ! En attendant, à Dunkerque, le plus bel hommage vivant à la mémoire est peut-être finalement donné par la conservation de 6 navires remarquables auxquels s’ajoute, entre autres, la Goele. Peut-être est-ce là qu’il faut poursuivre les efforts de l’agglomération pour donner corps à l’Histoire…
Renseignements utiles :
– Compter au moins trois heures en extérieur pour découvrir le port est, sans compter les musées, donc. Nombreux commerces et lieux de restauration ou ravitaillement à proximité. Un plan s’avère nécessaires si l’on ne veut pas perdre de temps à s’égarer où si l’on ne veut pas se fatiguer les jambes à chercher les passage d’un quai à l’autre… Se perdre n’est toutefois pas dans tous les cas une mauvaise option.
– Sur les technologies de lutte contre la submersion marine en Flandre, liée au Canal Exutoire
– Sur le projet urbain Neptune et le Masterplan de Dunkerque, quelques vues et cartes du projet
– Sur Dunkerque Grand Large