Les lieux côtiers que j’ai fréquentés dans ma jeunesse sont rares. On n’allait quasiment jamais à la mer. Mais celui-ci en fait partie. A l’occasion d’un voyage de classe, je quittai bassin minier du Pas-de-Calais pour aller visiter cette industrie saisissante qui s’appelait Usinor. Je ne crois pas avoir vu la mer ce jour là. Mais je me rappelle de sensations fortes et contrastées…
D’un côté, une attirance familière, presque irrépressible pour l’usine. Avec un père verrier et des friches industrielles comme principaux terrains de jeu et résidences secondaires on peut aimer l’usine, viscéralement. Et Usinor, ce n’était pas de la petite usine.
Et de l’autre côté, on ne peut échapper au sentiment d’oppression qui se fait sentir face à la démesure de l’élaboration de l’acier, en ce lieu sombre, sale, bruyant, imprégnant tous les sens d’une redoutable pesanteur.
Mais les vapeurs, les odeurs, les couleurs, les sonorités du crassier ne venaient pas à bout du trait de lumière immaculé du métal en fusion, canalisé par d’improbables dompteurs, totalement recouverts d’une intimidante cuirasse (qui aurait pu servir de tenue de pluie pour le bras droit de l’Empereur), et pourtant minuscules dans le décor.

Que reste-t-il de ce temps qu’on prédisait déjà proche de la fin pour Usinor, devenu Sollac, puis Arcelor, avant d’être rachetée par le géant Mittal ? Eh bien, à Dunkerque, il reste presque tout. Sur 14 sites sidérurgiques nordistes, la région n’en garde qu’un « bord à quai ». Il doit entièrement sa survie à la mer et à la qualité du port qui assure sa desserte.
Nous contemplerons cet univers de l’extérieur. En déambulant le long du bassin minéralier.
Panorama sur les activité du port central
Le long des quais bordant le « bassin minéralier » (selon l’ancien vocable) résident en fait plusieurs terminaux de vrac amené, via l’écluse Charles de Gaulle, par d’imposants bateaux, jusqu’à 14,20 mètres de tirant d’eau.
On y reçoit toutes les matières premières d’ArcelorMittal, mais aussi des céréales, des matières pétrochimiques et un vrac solide sous des formes multiples. On y expédie la chaux, le blé, l’acier…
On voit aussi l’usine sidérurgique engloutir les matières et les rejeter…

Environ 2 kilomètres de quai permettent d’accueillir plusieurs navires en simultané. La seule activité d’approvisionnement d’ArcelorMittal permet de disposer en même temps 5 navires à quai.
Cliquez (absolument) dès la première photo
Plusieurs fois par heure, la tour d’extinction du coke recrache une vapeur très épaisse.
De grands portiques munis de godets déchargent la matière première pour la sidérurgie. Le terminal traite chaque année près de 12 millions de tonnes de charbons et minerais. Un vraquier comme le Mona Frontier (Singapour) amènera cette matière de différents coins du globe.
Le Nordic Chantal, autre vraquier battant pavillon norvégien.
L’Occitan star (Bahamas) opère un chargement au terminal céréalier.
L’activité pétrochimique connaît quant à elle un fort bouleversement depuis la fermeture de Total. En 2013, elle représente encore 3 millions de tonnes. Au Port Central, deux appontements lui sont pour l’heure consacrés.
Accompagnés par le Capitaine Pierre Trollé (cf. dossier 6), nous allons maintenant pénétrer dans une zone qui n’est pas libre d’accès pour approcher ces activités en bord quai. Le temps n’était pas de mise. Tant mieux. Il faudra peut être revenir un jour sous un soleil de plomb. Et l’atmosphère serait, soyons en certains, radicalement différente.
Les entrailles de la bête
Elle fume encore de toutes parts, l’usine sidérurgique de Dunkerque. Sur ce décor déjà en soi irréel, l’averse vient de tomber et le ciel reste chargé. L’atmosphère est aussi lourde que l’acier qui s’étend sur les quais.
Une torchère brûle les excès de gaz sans jamais s’interrompre.
Les portiques de déchargement des matières premières
Vue de détail du portique.
Le godet qui avale les matières est au repos.
L’homme, minuscule dans cet univers de poussière, de tôles, de tuyaux qu’il a lui même édifié…
Ca, je ne sais plus ce que c’est…
Un haut fourneau.
Les scories encore chaudes sont étendues avant d’être expédiées comme sous-produit.
L’acier laminé (issu de plaques compressées pour l’affiner et mis en en bobine, comme ici. On sort de Dunkerque les aciers les plus fins, légers et résistants
Autre format d’expédition, sous forme de plaque. Les brames d’acier de Dunkerque (7 millions de tonnes produites en 2012) répondent positivement aux tests de contrôle dans 98% des cas.
L’usine de Dunkerque produit ainsi plus de 200 nuances d’acier différentes, principalement pour l’automobile, mais aussi pour l’emballage, l’électroménager, le mobilier… L’avenir de l’usine ne dépend pas seulement de sa situation maritime. Il tient aussi à la qualité de sa production.
Un bout de quai laissé en vrac…
Sur les mêmes quais, on charge la chaux extraite des Carrières du Boulonnais et transportée par wagons. On y reçoit du sable de déneigement. Et toujours la ferraille et autre petit vrac industriel que des grosses pinces invitent à revenir souvent (air connu). Le tout représentent près de 3 millions de tonnes chaque année.

Ambiance aux tonalités de fin du monde sur la plateforme petit vrac, en bout de quai. On y trouve pêle-mêle, en tas coke, laitiers ferraille et divers minéraux…
Cliquer sur les photos.
Au bon coin des pigeons
Les céréales du Nord de la France sont dispersées dans le Monde entier…
Cliquer sur les photos.
Le service de nettoyage du quai
Le DS Manatee (Iles Marshal) charge du blé. Destination la Chine ?
Le déchargement des barges
Une étonnante proximité.
En tout, 330 000 tonnes de produits agricoles peuvent être stockés sur le port qui sera en mesure d’en expédier entre 1 et 2 millions de tonnes par an…
La nature quand-même…
Malgré des conditions très défavorables (activités humaines, présence de métaux lourds dans le bassin), une faune assez riche peuple les lieux.
Les pêcheurs apprécient les tacauds, flet, lieux, merlans et le bar qui y séjournent à la faveur d’eaux plus chaudes.
Fréquemment suivis par les ornithologues (tous les 10 jours !), le bassin minéralier est également bien utilisé par des espèces d’oiseaux pélagiques (qui vivent d’ordinaire assez loin au large). Ceci offre un moyen assez exceptionnel d’observation de cette faune pour le Nord-Pas-de-Calais.

Des foulques macroule, ralidées qu’on rencontre plutôt en eau douce, s’effraient à l’approche.
Par l’écluse Charles de Gaulle, certains mammifères marins parviennent pendant un temps à s’y faufiler. Ainsi peut-on observer phoques et marsouins, avec un peu de patience et d’attention.
Le tout dans un lieu improbable. La nature, donc surtout.
Nous terminons notre excursion autour du bassin minéralier du port de Dunkerque par une nuit de pleine lune de septembre !

Après le Port Est et avant d’aborder le Port Ouest, je vous propose de faire un break (celle-là elle est facile !), pour une soirée de pêche agréable.
Prochain article : la Digue du Braek.
Renseignements utiles
– Le bassin minéralier n’est gagnable qu’à partir de la digue du Break. Les quais ne sont pas accessibles sans autorisation (poste de garde). Pour aller sur la digue du Break, il faut désormais passer par Mardyck. Le pont Charles de Gaulle à Partir de Dunkerque reste toujours levé.
– Pour en savoir plus sur ArcelorMittal : des pages françaises sur le site de Dunkerque
– Un excellent site illustré sur la sidérurgie de Dunkerque, du nord de la France et d’ailleurs
– Et pour terminer, le non moins excellent rapport d’activité « Dunkerque 2014 » dont la plupart des chiffres de cet article sont tirés.