Le Grand Port de Dunkerque est un théâtre fascinant dont les pièces et les décors changent comme le temps. Enfin, presque. A Dunkerque, en tout cas, au Port Est, le spectateur de la mer y voit presque sans gêne ce qu’on donne.
Mais il faut savoir qu’au ballet des navires préside ou répond une pléiade d’acteurs professionnels dont le profane suspecte au mieux l’existence.
On se doute bien qu’on n’entre pas dans un grand port tel que celui de Dunkerque comme dans un moulin. Mais comment ça se passe ?
Pour le savoir, apprêtons-nous a entrer dans un monde peuplé de marins particuliers… Ceux-là, en effet, restent sur terre. Mais qu’on ne se méprenne pas. Il ne s’agit pas de marins d’eau douce. C’est au contraire leur grande expérience de la mer qui les a conduits jusqu’à la vigie ou dans les bureaux de la capitainerie. Ce sont les officiers de port. Et ce sont eux, les chorégraphes du ballet.
Issus de la marine marchande ou de la Marine Nationale, ils veillent à l’entrée et à la sortie de tous les navires et à ce que tout se passe bien pour ces derniers comme pour la vie portuaire. Les officiers du port disposent pour cela de fonctions régaliennes leur permettant d’avoir la pleine autorité sur toute l’infrastructure. Certains seront en vigie pour superviser ces entrées et sorties. Ils seront pour cela assistés par des pilotes et par du personnel portuaire en charge des écluses. D’autres ont la charge du placement des navires et des possibles problèmes de sécurité que ces derniers peuvent poser… D’autres encore seront attachés à différentes formalités et tâches à quai que nous détaillerons sans doute une autre fois.
Pour l’heure, nous serons guidés par le capitaine Pierre Trollé.
L’oeil du port : la vigie
Des postes vigies, on en trouve dans des dizaines de ports, même beaucoup plus modestes que Dunkerque. Ces édifices prennent des allures de pierre taillée, architecture précieuse, presque hautaine, résolument tournée vers la mer, semblant ignorer le dédale portuaire, façon mépris des elfes pour les affaires des nains. Mais il n’en est rien. Car c’est la bienveillance pour chaque marin qui oblige la vigie à n’avoir d’yeux que pour les flots. A Dunkerque, deux vigies correspondent avec les bateaux et supervisent leur évolution aux abords et au sein du domaine portuaire. La vigie commande à l’instant la prise en charge du navire, son évolution dans les bassins, le passage aux écluses, jusqu’à l’arrivée au quai.
Cliquer sur la première image…
Nous entrons dans le centre névralgique du port. Au premier plan, Jean-Pierre, officier du port, est le patron à bord de cette vigie où se régule 24h sur 24 tous les accès des navires et leur évolution dans le port. Ici, la scène se joue en direct et le théâtre des opérations dépasse le port pour couvrir une zone maritime allant de la frontière belge jusqu’au large de Calais.
Dans ce large espace qui dispose sans doute de la vue la plus exceptionnelle du large à Dunkerque, d’autres agents comme Didier et Stéphane sont radio. Ils sont en correspondance permanente avec les navires et tous le professionnels qui les prendront en charge.
La radio VHF est un outil spécifique de la régie en raison de la nécessité d’un dialogue permanent avec les capitaines de bateaux, la plupart du temps relayés par les pilotes du port. Dès lors qu’ils montent à bord pour diriger les manoeuvres, ceux-ci sont en fin de compte les principaux interlocuteurs des capitaines de navires.
A chaque poste, toujours plusieurs écrans en synoptique afin de suivre le trafic à ses différentes étapes : circulation dans le chenal, entrée, sortie et circulation dans les bassins… Cet écran ci est un synoptique de toutes les écluses dont la vigie a la charge. Le café et l’essuie-tout sont les principaux accessoires pour y voir clair !
D’ailleurs, contrairement à beaucoup d’entreprises, les vitres sont impeccables et c’est préférable. Ce qui me permet de faire une sympathique photo de Stéphane, radio (avec Pierre Trollé en arrière plan). Patrice, un autre collègue, pour sa part supervisera les remorqueurs. La société de remorqueurs Boluda attend ses ordres de travail.
Un des principaux interlocuteurs de la vigie : le pilote. Il guide le bateau dans ses manoeuvres. Ici, le pilote est monté dans un navire de drague hollandais quittant le port.
Le pilote doit prendre la direction des opérations compte tenu de ses connaissances spécifiques à l’appareillage, à l’accostage et à la circulation au large où les bancs menacent d’ensabler les navires. Le petit bateau est une pilotine. Cette pilotine récupèrera le pilote à la sortie du port.
La vigie c’est donc l’endroit où se vit le moment présent et sa part d’imprévu. Il n’en reste pas moins que rien, dans l’absolu, ne s’improvise dans un grand port. Un cerveau pense à tout dans la capitainerie. Avant de découvrir ce sanctuaire de la pensée portuaire, il faut s’intéresser à ce qui peut être l’aspect le plus délicat du Port Est : ses écluses.
Le coeur et les artères : le PC des écluses.
Jacques Brel n’a pas cru si bien dire : ce n’est pas rien d’être éclusier ! Et encore moins quand on a la charge de surveiller dans le même temps l’évacuation de l’eau et la circulation des ponts. Sous la vigie (« les ordres d’en haut »), la régulation du trafic s’exécute par deux agents appuyés par un fameux appareillage d’écrans « synoptiques » permettant de d’apprécier tous ces lieux sensibles et de vérifier le bon déroulement des manoeuvres de plus d’une vingtaine de point critiques.
Cliquer ici pour découvrir le PC.
On accède au Port Est ou on le quitte en passant, selon son gabarit et son tirant d’eau, par des écluses adaptées aux caractéristiques des navires. Le port en compte de différentes largeurs et longueurs. Les moyens de fermeture des portes sont également variés : à ventaux, coulissants, à baïonnettes… Ici, le Swalinge (que l’on voyait quitter le port et qui penche curieusement…) s’apprête à franchir l’Ecluse Watier qui permet le passage de navires allant jusque 230 mètres de long et 32 de large.
Les ponts, ouvrages associés au système d’écluse seront selon les cas levants ou tournants et leur mouvement obéira aux mêmes opérateurs.
Nous voici donc dans le PC qui commande les écluses et les pompes. A l’interface du trafic maritime et fluvial, les agents d’écluse sont des personnels du port formés sur le tas pour assurer ce travail spécifique.
A l’aide d’une bonne quinzaine d’écrans, le bon fonctionnement de 6 écluses et de leur environnement y est supervisé, mais pas seulement. Les manoeuvres de pompage ou d’évacuation par gravité de l’eau venant de l’arrière pays sont également commandées à partir du même PC.
Le poste du « Gueuloir »… pour inconscients et irrévérencieux. Les boutons permettent d’actionner les hauts parleurs de chaque ouvrage et de rappeler à l’ordre les petits malins qui grillent les feux ou passent en dessous des barrières… et qui activent les cellules de sécurité, arrêtant ainsi immédiatement les manoeuvres. On notera au passage que le café est de rigueur dans ce poste de contrôle, comme à l’étage plus haut.
Les écrans synoptiques permettent de surveiller simultanément les installations de pompage d’eau et les ouvrages d’écluse.
Panoramique. Ici, la vue n’est pas si mal non plus…
Ecluse de Mardyck. Les écrans que l’on voit surveillent le fonctionnement des pompes permettant d’évacuer l’eau de l’arrière pays et déversée dans les canaux. En cas d’importantes pluies, en concertation avec les Voies Navigables de France, la circulation des bateaux est arrêtée pour permettre le pompage de cette eau jusqu’à 40 m3 seconde. Des pompes Sea Flight et Bergeron assurent ce travail que l’on distingue sur l’écran supérieur avec la précision d’une échographie, Une qualité d’image suffisante pour que les agents d’écluse constatent le bon fonctionnement des appareils.
Au bout du doigt, l’écluse de Mardyck. C’est là qu’un travail spécial d’écluse et de pompage permet de dissossier les eaux douces des eaux salées par différence de gravité de chacune. Ceci permet de ne pas contaminer l’eau utilisée dans les terres pour l’arrosage des cultures par le sel. C’est à lécluse Mardyck qu’arrivent les mariniers pour joindre les bassins du port.
Pont du Texel, Darse 1… Tout est surveillé. Et chaque manoeuvre est assurée par l’agent. Rien ne se fait automatiquement.
Il faut parfois vérouiller les portes de l’écluse. La houle par vent de Nord Nord-Est oblige à consigner l’écluse pour éviter que la porte ne déraille.
Nous sommes toujours à l’écluse Watier.Cette porte d’écluse est au sec. Totalement refaite après avoir été malmenée par un navire, elle sera reposée à l’issue d’une manoeuvre délicate.
Brel avait raison. Mais le métier n’a plus rien à voir avec la chanson. On n’a pas le temps d’aller cueillir les pommes.
Et c’est au placement qu’est le cerveau
Car c’est ici, au coeur de la capitainerie, que se préparent tous les mouvements des navires. « Ecoutez, je n’en sais rien… Ben tiens, mettez-le là ! » n’est pas vraiment une réflexion autorisée dans ce bureau. C’est peut-être même la meilleure façon de prendre la porte. Tout s’anticipe au placement : le temps qu’attend le bateau attend en zone de mouillage, le moment et la manière dont celui-ci va entrer sortir, évoluer, se placer à quai selon les conditions du moment et les règlement locaux. Tout est pensé, calculé à l’avance. Des officiers s’occuperont plus spécialement des problématiques de sécurité dans les bateaux.
Cliquer sur la première image pour voir un cerveau portuaire
Sur le poste de Pierre, toujours les mêmes écrans synoptiques de surveillance du trafic et d’information sur les navires et leur chargement : le logiciel SIRENE pour le suivi du trafic, un écran radar, le synoptique des écluses, auquel s’ajoute un ordinateur ordinaire permettant d’effectuer des recherches…
L’écran radar permettant de suivre le trafic sur l’ensemble du domaine maritime pris en charge par le port de Dunkerque
L’outil majeur du bureau est une carte murale du port, de plus de 5 mètres. Selon les officiers du placement, il n’y a rien de tel qu’une carte à l’ancienne où l’on peut positionner le long des quais des vignettes magnétiques taillées selon la taille des navires. cette carte murale permet d’embrasser l’ensemble du domaine portuaire.
Sur le côté du tableau, on affiche les navires attendus au port et les jours d’arrivée.
D’autres navires mouillent au Dyck, un espace au large de Calais où les navires peuvent attendre que le port les prenne en charge quand les conditions le permettront : disponibilité des quais, conditions climatiques, étale de courant favorables…
Encore un poste où le café s’impose : le bureau de la sécurité et des matières dangereuses. On vérifie la compatibilité du chargement avec sa présence dans grand port fréquenté, en coeur d’agglomération, à proximité de 14 usines Seveso. Qu’il s’agisse d’import, d’export ou de transit, les officiers sont informés de tout. Leur aval est requis en toutes circonstances, y compris pour des interventions à flamme vive dans un navire en réparation au chantier naval. Un expert sera mobilisé pour faire les vérifications nécessaires.
Des matières réputées dangereuses, il y en a des livres entiers répartis en 9 classes de produits, comme le montre Patrick. Le monde compte 100 000 produits chimiques. Au port, on n’en connaît qu’une dizaine de milliers. Mais les copeaux de bois sont réputés eux aussi dangereux, de même que la sable qui, une fois mouillé, peut créer une instabilité du navire qui le charge.
Pour terminer, je voudrais rendre hommage à Pierre Trollé homme de terrain autant passionné qu’il est qualifié. Comme la plupart des officiers du port, Pierre a d’abord servi dans la marine marchande. Après 20 ans d’équipage Pierre passe son brevet d’officier, puis le concours de capitaine lui permettant de devenir fonctionnaire d’Etat détaché aux ports de Boulogne pendant 6 ans, puis de Dunkerque, depuis 15 ans. Après 3 ans de vigie, Pierre passe au placement des bateaux et ce faisant, au contact d’interlocuteurs variés, jusqu’aux plaisanciers quand ces derniers organisent une manifestation dans le port… Son sens du partage appelle notre entière gratitude.
Merci, Pierre !
Renseignements utiles :
– La carte du port permet de repérer les bassins, les quais et les écluses citées.
– Pour découvrir le port, le site de Dunkerque Grand Port présente ce qu’il s’y passe efficacement. Idem pour tous les termes « portuaires » du glossaire, très sympa !
– Les Affaires maritimes interviennent également sur les questions touchant à la marine marchande.
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